VII. Le Voyageur
Située pendant des siècles au carrefour des grandes voies de circulation reliant les riches villes d’Europe du nord, La Fère était une étape fréquente de voyageurs en tous genres. On peut encore admirer dans les rues les grandes portes des anciens relais de poste, où ceux-ci venaient chercher une nuit de repos et des chevaux frais.
Parmi ces nombreux visiteurs d’un soir figurent des noms illustres qui ont laissé de leur passage des récits plus ou moins enthousiastes. Ainsi Victor Hugo en 1835 était attablé dans une auberge de La Fère quand il rédigea une lettre à sa femme Adèle, lui décrivant le charme de la côte menant à Coucy qu’il avait « montée à reculons tant c’était beau », mais également le mauvais accueil qu’il reçut dans une auberge de Laon, y trouvant « soupe maigre et vaisselle grasse, et tous les poux de la cité ». C’est donc une légère appréhension qui transparaît dans la conclusion de sa lettre laféroise, alors qu’il attendait qu’on lui serve son repas :
« Il y a des chasses peintes sur le mur de l’auberge. J’ai remarqué que cela est de mauvais augure. Cela veut dire qu’on n’aura pas d’autre gibier qu’en peinture. »
Quelques années plus tard un autre écrivain voyageur, l’écossais Robert Louis Stevenson, décrivit dans son Voyage en canoë sur les rivières du Nord l’étape mémorable qu’il fit à La Fère avec son camarade de navigation. Débarquant en pleine nuit et sous une pluie froide, les compères se réjouissaient d’y trouver une auberge dont on leur avait vanté la réputation et où ils espéraient profiter d’une nuit de confort. Hélas, ils arrivaient au cours de grandes manœuvres d’artillerie qui mettaient toute la région en ébullition. L’aubergiste, voyant d’un mauvais œil ces deux étrangers dépenaillés qui allaient ajouter à son labeur, les chassa promptement sans même les laisser commander un repas. Les deux amis furent particulièrement marqués par cet accueil, et commençaient à perdre foi en la nature humaine alors qu’ils s’enfonçaient dans la nuit à la recherche d’un abri. Ce fut à l’autre bout de la ville qu’ils purent entrer à « La Croix de Malte », tenue par un dénommé Bazin. Lui et sa femme étaient également fourbus de leur dure journée, et pourtant c’est avec plaisir qu’ils accueillirent les deux voyageurs, et passèrent avec eux une soirée plus paisible en discutant peinture, voyages et famille. Plus que le repas, le vin ou la chambre, c’est l’amitié de leur accueil qui réconforta Stevenson ce soir-là et lui laissa un souvenir ému.