Thomas de Marle
Thomas de Marle, aussi connu sous le nom de Thomas de La Fère (Feriae), fut selon les chroniqueurs du XIè siècle « le plus grand coquin de son époque ». Les meurtres, pillages et trahisons qui émaillent son histoire justifient certainement une telle réputation.
Certes son enfance ne fut pas des plus faciles. Sa mère Ade de Marle et Coucy était réputée pour sa forte personnalité et une grande indépendance, y compris sur le plan sentimental. A tel point que son père Enguerrand 1er, seigneur de Coucy, émettait quelques doutes sur sa paternité et ressentait une profonde animosité envers son héritier. Il faut dire qu’Enguerrand lui-même n’avait d’yeux que pour la belle Sybille de Château-Porcien, elle-même déjà mariée. Afin d’épouser cette dernière, Enguerrand finit par répudier Ade pour adultère, mais ne put déshériter son fils.
Parvenu à l’âge adulte, Thomas partit néanmoins aux côtés de son père à la première Croisade. Le jeune homme s’y distingua tant que son nom figura dans les plus grands chants de trouvères relatant ces événements, telles la chanson d’Antioche ou celle de Jérusalem. On évoqua moins sa participation aux massacres de France et Rhénanie sur le chemin de la Terre Sainte , considérés comme les premiers pogroms de l’histoire.
Une fois Jérusalem conquise, Thomas rentra promptement en Picardie, contrairement à de nombreux Croisés qui établirent leur domaine dans les contrées traversées pour y faire fortune. Frustré du faible profit qu’il avait fait de son expédition, il décida de trouver sur place les richesse qu’il ne put obtenir là-bas. Depuis sa forteresse de Montaigu près de Laon et à la tête d’une armée de 700 chevaliers-mercenaires, il se mit à piller et rançonner les voyageurs et marchands des environs. Son emprise sur la région devint telle que son père Enguerrand monta une armée contre lui et fit le siège de sa forteresse. Thomas ne put obtenir la fin des hostilités qu’avec le soutien du fils du roi, le futur Louis VI le Gros.
Mais les alliances étaient complexes et fragiles en ces temps. Lorsque ce même Louis VI autorisa les bourgeois d’Amiens à s’organiser en commune, ces derniers demandèrent le soutien armé de Thomas pour les protéger contre les réticences du seigneur en place : le sire Enguerrand de Coucy. Thomas accepta de prendre à nouveau les armes contre son père. Mais au terme de complexes tractations et cessions de terres, Enguerrand parvint à rallier Thomas à sa cause, et les Amiénois qu’il devait protéger devinrent les victimes de ses exactions. Simple trahison vénale ou choix politique ? Il est fort probable que le sire de Coucy ait fait comprendre à son successeur l’importance de préserver leur indépendance et de s’opposer à l’autorité royale qui cherchait à soumettre les seigneurs de France.
La leçon fut retenue, et l’hostilité entre Thomas de Marle et Louis VI le Gros devint ouverte et sanglante. Thomas continuait d’exercer pillages et rançonnages sur ses terres. Il n’hésitait pas à assassiner les proches de ses opposants, fussent-ils comtes ou archidiacres. En conséquence, Thomas fut déchu de son titre de chevalier et excommunié lors d’un Synode convoqué à Beauvais à la demande du roi.
Ce furent l’emprisonnement et la saisie des biens de marchands disposant d’un sauf conduit royal qui poussèrent Louis VI à vouloir régler définitivement la question de ce vassal incontrôlable. Lors d’un dernier assaut cette fois sur la forteresse de Coucy dont Thomas avait fini par hériter, le comte de Vermandois blessa mortellement Thomas, vengeant par la même occasion son frère tué de la main de Thomas quelques mois plus tôt.
Ainsi vécut et périt Thomas de Marle, marquant la fin d’une féodalité où les seigneurs n’étaient que peu soumis à l’autorité du roi.