Arcanes Mineures,  Carte

Henri IV

De toutes les personnalités qui peuplent les récits des anciens de La Fère, Henri IV est probablement leur favorite. D’aucuns prétendent que l’on peut encore trouver dans la ville l’anneau auquel il attachait son cheval. Nonloin de là se trouverait le « pont des amoureux » où le leste Gascon aurait eu pour habitude de retrouver l’une de ses nombreuses conquêtes. Si la vérité historique de ces anecdotes est incertaine, il est en revanche documenté que le Vert Galant avait noué un lien intense avec la ville natale de son père Antoine de Bourbon.

Dès 1583, c’est à La Fère (alors fief de Catherine de Médicis) qu’Henri III suggère à celui qui n’était encore que roi de Navarre de se convertir au catholicisme. Ce dernier refusa sur le moment cette proposition, mais l’idée continua son chemin dans son esprit.

Quelques années plus tard au plus fort des guerres de religion, la ville sera âprement disputée par les deux camps, la Ligue catholique d’un côté et de l’autre l’armée du roi de France, désormais alliée aux armées protestantes. Chacun voyait l’avantage stratégique qu’apportait une telle place forte entre l’Ile de France, la Champagne et la route des Flandres.

« J’ai vu à La Fère sur Oise la plus forte ville en assiette de France »

En 1589, le Marquis de Maignelay prend la ville avec les troupes de la Ligue catholique. De nature cupide, il s’approprie les richesses accumulées par les royalistes. A peine deux ans plus tard, soupçonné de vouloir livrer la ville au roi, il se fait assassiner sur le parvis de l’église Saint Montain.

Henri de Navarre, qui n’était pas encore Henri IV, voulut saisir l’occasion de prendre la ville par la ruse. Alors que 1500 de ses hommes étaient cachés à proximité de l’une de ses portes, il envoya trois gentilshommes déguisés en villageoises portant du foin et de la paille, afin qu’ils neutralisent la garde par surprise. Il avait déjà tenté ce stratagème sans succès quelques années auparavant pour prendre Paris, dans ce qu’on appela la « journée des farines ». Cette fois encore le déguisement ne prit pas, et les trois hommes furent tués sur place.

La corruption ne fut pas plus efficace. De fortes sommes d’argent furent proposées au nouveau Comte de La Fère, Jacques Colas, que l’on soupçonnait d’ailleurs d’avoir été à l’origine du meurtre de son prédécesseur. Celui-ci se montra plus fidèle à la Ligue et la couronne d’Espagne que Maignelay, et refusa la transaction.

Lorsqu’en 1594 Henri de Navarre fut finalement couronné Henri IV de France, les chefs de la Ligue allèrent se réfugier à La Fère. Reprendre la ville n’en devenait que plus important pour le roi qui en fit une obsession.

« Quand même il lui en coûterait la moitié du royaume, il doit recouvrer sa maison de La Fère » (Lorenzo Suárez de Figueroa y Córdoba, ambassadeur d’Espagne)

La ruse et la corruption ayant échoué, Henri décida de recourir à la force, et établit le siège de la ville avec 5000 hommes d’infanterie, 1200 chevaux, et 4000 mercenaires hollandais. Les assiégés en contrepartie ne tenaient la place forte qu’avec quelques centaines d’hommes, mais avaient à leur tête Don Alvaro Osorio, vétéran de l’armée espagnole de haute renommée. Ils montrèrent toute leur ténacité et la solidité de leurs positions en multipliant les sorties contre les troupes royales, parvenant même à capturer de précieuses pièces d’artillerie.

« Moulié de Barbasto, prento garde à la gate che s’en ba gatoua. » (Un assiégé gascon, alertant dans sa langue le roi de Navarre qu’une mine allait exploser près de lui)

Le siège s’annonçait particulièrement long et difficile. Henri IV installa son campement militaire à Travecy où il était particulièrement apprécié : son aïeule Marie de Luxembourg avait fait construire l’église de la ville cinquante ans plus tôt. Il installa sa famille ainsi que sa favorite Gabrielle d’Estrées à Folembray, où cette dernière ne se plaisait d’ailleurs pas beaucoup. Lorsqu’on lui remontait le mécontentement de la jeune femme, le roi aurait lancé en riant : « que la folle en braie ! ». C’est également à Folembray que l’on raconte qu’il frôla la mort alors que le plancher sur lequel il se tenait s’effondrait, et qu’il n’en réchappa qu’en sautant sur le lit de sa sœur, tenant son fils César dans ses bras.

Conseillé par l’ingénieur hollandais Beringhen, Henri IV entreprit un chantier titanesque visant à inonder la ville en construisant une digue sur l’Oise, entre Beautor et Andelain. L’église de Beautor fut entièrement démontée pour en fournir les matériaux. Les travaux furent longs, pénibles et coûteux, pour un résultat assez décevant : ils ne permirent de faire monter l’eau dans la ville que très lentement, « [laissant] aux habitants le loisir de transporter leurs meubles plus haut » comme le remarquèrent sarcastiquement des commentateurs de l’époque. Qui plus est, les alentours de la ville recouverts d’eau offraient une protection supplémentaire aux assiégés.

« Cette inondation se trouva inutile, la chaussée s’étant rompue deux ou trois fois, et l’eau n’ayant jamais monté à six pieds près de ce qu’on s’était mis en fantaisie. » (Sully, Surintendant des Finances d’Henri IV)

Les troupes retranchées dans la ville n’étaient pas pour autant sereines : en l’absence d’approvisionnement, les réserves de vivres ne suffiraient pas à alimenter longtemps les soldats ni les habitants. Pour y remédier, l’armée espagnole occupant le nord du pays mit sur pied une opération audacieuse : un jeune capitaine albanais, Nicola Basti, prit secrètement contact avec Don Osorio, organisant un rendez-vous secret au bord des étangs de La Fère. A la tête d’une troupe de chevau-légers transportant des sacs de farine et des mèches de fusil, Basti traversa de nuit les campements des assiégeants, profitant d’un brouillard épais pour semer la confusion. Les assiégés de La Fère l’attendaient sur des barques pour récupérer la précieuse cargaison, mais les soldats d’Henri IV mirent à l’eau leurs propres bateaux pour les en empêcher. S’ensuivit une singulière bataille navale dans les prairies inondées, qui ne put empêcher les assiégés de récupérer assez de ravitaillement pour tenir plusieurs mois.

Le siège de La Fère était devenu le plus long qu’ait connu Henri IV, et probablement le plus coûteux également, ayant désormais mobilisé 18000 hommes et 5000 chevaux. Décidé d’y mettre un terme, le roi de France finit par proposer à Jacques Colas et Don Osorio des conditions particulièrement généreuses : en échange de la place, il laisserait les armées assiégées la quitter avec honneur, battant leur pavillon et emportant armes, bagages et même un canon à leurs armes. Quant aux habitants de la ville qui auraient participé aux combats, ils auraient droit au pardon royal. L’accord fut conclus, et les troupes françaises entrèrent enfin dans la ville, constatant avec surprise que ses entrepôts étaient loin d’être vides.

« Il est convenable que ceux qui avaient montré tant de bonne volonté, soient sortis avec la réputation qu’ils méritent. » (Archiduc Albert d’Autriche, alors gouverneur général des Pays-Bas)

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