Arcanes Mineures,  Carte

Abraham Petrovitch Hannibal

Peu de gens savent que l’écrivain russe Alexandre Pouchkine avait des racines africaines. Particulièrement fier de son grand-père Abraham Petrovitch Hannibal, le poète nous partage dans ses écrits à son sujet comment les multiples noms qu’il aura portés racontent autant de vies différentes.

Le lieu de naissance de son aïeul est tantôt situé aux abords du lac Tchad, tantôt à l’emplacement de l’actuelle Ethiopie. Tout juste sait-on qu’il répondait alors au nom de Broua, et fut capturé à sept ans par des troupes ottomanes. Réduit en esclavage, il fut envoyé à Constantinople où on le renomma Abraham. C’est là qu’un ambassadeur russe le racheta et l’emmena à Moscou où il rejoignit la cour de Pierre Ier, dit le Grand.

L’événement n’était pas fortuit, car le Tsar avait pour ambition de développer l’instruction au sein de son empire, et se heurtait aux réticences des aristocrates qui ne croyaient guère en l’intérêt des sciences et des lettres. En recueillant des enfants soigneusement choisis parmi les plus modestes, Pierre le Grand comptait prouver qu’une éducation appropriée pouvait les élever au rang de l’élite russe.

Abraham reçut donc comme parrain le Tsar en personne, et fut alors rebaptisé Piotr Petrov Petrovitch (bien qu’il continuât d’utiliser son prénom ottoman). Le jeune homme montrait des aptitudes particulières pour les mathématiques, et s’orienta naturellement vers l’étude de l’ingénierie militaire. C’est dans cet objectif qu’il fut envoyé en France pour y suivre les formations les plus réputées, et notamment celle de l’Ecole royale d’artillerie de La Fère. Celle-ci était cependant réservée aux soldats de l’armée française ; qu’à cela ne tienne, Abraham Petrovitch s’engagea dans les troupes de Louis XV et partit combattre pour lui en Espagne. De retour de campagne, il put rentrer à La Fère pour y être formé en tant que capitaine de l’armée, et en  ressortir quelques années plus tard ingénieur du roi.

Il rentra alors à Moscou où il rédigea « Fortification et Géométrie pratique », manuscrit volumineux qui contenait la somme du savoir accumulé à La Fère, et poserait les bases de l’ingénierie militaire de l’empire. Les deux tomes originaux de cet ouvrage peuvent encore être consultés à l’Académie des Sciences russe.

Malgré des intrigues de cour faisant suite à la mort de Pierre le Grand qui le forcèrent quelques années à l’exil, sa précieuse expertise en affaires militaires lui permit de revenir en grâce et de poursuivre seul son ascension au sein de l’armée impériale. Le nom de Petrovitch devenait trop difficile à porter, il prit celui d’Hannibal en hommage au général carthaginois, renouant par la même avec ses origines africaines. Reconnu comme le plus grand spécialiste de fortifications de l’empire, il contribua à redessiner toutes les places fortes du territoire, avant de prendre une retraite méritée.

Esclave et filleul de Tsar, capitaine de l’armée française et général-major de l’armée russe… Aujourd’hui encore, une plaque commémorative à l’entrée de la caserne de La Fère rappelle le passage dans ses classes d’un jeune homme au parcours aussi grandiose qu’insolite.

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