Louis-Antoine Drouot
Fils d’un boulanger et troisième enfant d’une fratrie de douze, Louis Antoine Drouot ne semblait pas prédisposé aux honneurs et à la gloire. Mais le jeune nancéen eut dès l’enfance une passion pour la lecture, les sciences et les mathématiques, allant jusqu’à suivre en cachette les leçons des écoles qui le trouvaient encore trop jeune.
A l’âge de 19 ans, Drouot apprit qu’un examen se tiendrait à Châlons-sur-Marne pour intégrer l’école d’artillerie de La Fère. Les épreuves seraient présidées par Pierre-Simon Laplace, mathématicien et physicien le plus influent de son époque. Drouot parcourut à pied les cent-cinquante kilomètres qui le séparaient de la ville, et se rendit dès son arrivée au centre d’examen. Les autres candidats dans leurs habits d’officier virent arriver d’un air moqueur cet individu vêtu comme un paysan et couvert de la poussière du voyage.
Face au jury et à une assistance médusée, le jeune homme répondit avec précision et assurance à toutes les questions posées. A la sortie des épreuves et contrairement à son habitude, Laplace ira le féliciter en lui conseillant simplement d’aller commander à Châlons ses boutons d’uniforme, car il n’en trouverait pas à Nancy. Drouot fut ensuite porté en triomphe dans les rues de la ville par les mêmes camarades qui avaient moqué son allure quelques heures plus tôt.
« Sire, un des plus beaux examens que j’ai vu passer dans ma vie est celui de votre aide de camp, le général Drouot. » (Laplace à Napoléon Ier)
La nouvelle recrue du régiment de La Fère fit la même année ses premières armes lors de la défense de Dunkerque sous le commandement du général Moreau de l’armée révolutionnaire : par un positionnement audacieux de son artillerie au cours d’une sortie des troupes françaises assiégées, l’armée anglo-hollandaise fut repoussée avec succès.
« J’ai vu bien des choses étonnantes, mais ce qui m’a le plus frappé, c’est une batterie placée dans une redoute par un enfant ; jamais je n’ai rien vu de pareil ; et cet enfant, c’est le brave Drouot que vous voyez ». (Jean-Victor Moreau)
Les qualités de Drouot ne s’arrêtaient pas aux mathématiques et à la stratégie militaire, car il était surtout apprécié pour son humilité, son intégrité et son sens du devoir. Allant jusqu’à porter lui-même les pelles et écouvillons lors de la manœuvre de batteries, il ne réclamait jamais des autres ce qu’il pouvait faire lui-même. Alors qu’il n’était encore que caporal en charge de l’habillement à La Fère, il renvoyait à ses fournisseurs leurs pots-de-vin demandant à ce qu’ils soient plutôt décomptés de leurs factures. Et au cours des multiples batailles impériales, il participait aux reconnaissances en terrain ennemi ou pointait lui-même les pièces d’artillerie au plus fort des combats.
« Il n’y avait pas, je crois, dans le monde, deux hommes pareils à Murat pour la cavalerie et à Drouot pour l’artillerie ». (Napoléon Bonaparte)
Peu intéressé par la gloire et l’argent, Drouot ne perdit jamais sa passion pour la connaissance et la lecture. Il ne fut jamais plus heureux que sur l’île d’Elbe où, ayant fidèlement suivi Bonaparte en exil, il pouvait se consacrer paisiblement à ses études. Revenu à la vie civile, il poursuivit son intérêt pour les sciences et la communauté, participant au progrès de la construction de fortifications ou de l’agriculture. Même lorsqu’il fut atteint de cécité, il fit appel aux services d’une lectrice pour continuer de consulter livres et journaux.
Sentant sa fin proche, il fit don aux pauvres de ses derniers biens, parmi lesquels son uniforme de général, soulevant quelques regrets de sa famille.
« Mon neveu, je vous l’aurais donné volontiers ; mais j’aurais craint que vos enfants, en voyant l’uniforme de leur oncle, ne fussent tentés d’oublier une chose qu’ils doivent se rappeler toujours, c’est qu’ils sont les petits-fils d’un boulanger ». (Louis Antoine Drouot)